"Prendre soin de soi, pour pouvoir prendre soin de son·sa proche"
À l'occasion de la Semaine Nationale des Personnes Proches Aidantes, nous vous invitons à vous plonger au coeur d'une discussion passionnante entre Margaux, intervenante psychosociale et Angie, paire aidante famille chez Arborescence "pour les proches en santé mentale". Ensemble, elles explorent le concept du "pouvoir d'agir" dans la relation d'aide.
Margaux - Bonjour Angie. Tout d’abord, peux-tu nous expliquer ton métier ?
Angie - Oui. Un·e pair·e aidant·e famille c’est quelqu’un qui a eu un vécu expérientiel avec un proche ayant des enjeux de santé mentale, qui est passé au travers différentes étapes de rétablissement, puis qui a choisi de se former académiquement pour pouvoir accueillir, écouter et surtout soutenir d’autres proches qui aiment quelqu’un ayant des enjeux de santé mentale. J’offre aux proches un espace où ils peuvent ventiler sans se sentir juger. Ils n'ont pas à expliquer pourquoi ils se sentent comme ça, parce que je l’ai vécu aussi.
Margaux - Ils ont ainsi le sentiment de se sentir reconnu·es, compris ?
Angie - Exactement. Beaucoup, comme moi avant, ne savent pas qu’ils sont des proches aidant·es et qu’il y a des enjeux reliés à leurs rôles. Souvent, quand on vit avec une personne qui a des enjeux de santé mentale, on minimise des choses qui ne sont pas nécessairement normales et on porte de la honte par rapport à ça. Pour nous, ce qui peut paraître anormal à d’autres, c’est notre quotidien, ça fait partie de notre réalité. Alors on se tait, on fait avec et on continue d’avancer.
Margaux - Est-ce que ça peut être aussi la crainte de se sentir jugée par l’extérieur ou même la crainte que les autres portent un jugement sur ton proche ?
Angie - Oh, oui! Tellement! Tu touches un gros point! On a le stéréotype de la folie, puis quand on aime quelqu’un qui a un enjeu de santé mentale et que ça ne correspond pas du tout aux stéréotypes, c’est clair qu’on fait face à nos propres préjugés en premier lieu. Ensuite viennent les préjugés extérieurs. On entend plein de choses qui peuvent facilement nous blesser. Les gens ont tous leurs théories et leurs préjugés sur la santé mentale. C’est un sujet méconnu de la population en général, donc on veut protéger notre proche de tout ça.
Margaux- Tu nommes le fait de vouloir protéger son proche, peux-tu plus m’en parler ?
Angie : Oui. Quand mon proche s’est fait hospitalisé, j’ai mis ma vie de côté et je suis rentrée dans la vie de mon proche. Pour que tout roule, j’ai pris les responsabilités de la personne que j’aime. Et quand mon proche est revenu à la maison, j’ai continué à vouloir le protéger. C’est quelque chose de naturel quand on aime de vouloir protéger, et je reconnais ce réflexe là chez plusieurs de mes pairs. Donc, c’est de voir aussi qu’est-ce qui m’appartient et qu’est-ce qui ne m’appartient pas. On ne s’en rend plus compte, tout nous appartient parce qu’on veut tellement protéger! Puis, pour aider, on pense qu’il faut surprotéger notre proche, donc parfois on va régler des situations à sa place ou ne pas oser dire nos limites parce qu’on se dit que l’autre a tellement besoin d’aide. C’est alors qu’on va transgresser nos limites, nos propres rêves et nos propres buts pour atteindre ceux de notre proche. Finalement l’important ne devient plus nous même mais devient notre proche, donc c’est facile de s’oublier.
Margaux - Et finalement, les besoins de ton proche prennent le dessus et tu oublies tes propres besoins, tu ne les identifies même plus.
Angie - Tout à fait. Et puis mon réflexe a été de tout prendre en charge. Je me disais: “j’ai la capacité de le faire, je peux le faire, donc je vais le faire”. Mon proche, je voyais qu’il était dans l’incapacité de se mettre dans mes chaussures, donc je ne lui aurais pas demandé, car je trouvais la barre trop haute. C’était plus facile que je le fasse moi-même que de demander à mon proche de le faire.”
Margaux - J’imagine que quand tu te dis que tu en as la capacité, ça doit être difficile de définir jusqu’où tu peux aller. Le risque est de se dire qu’on peut toujours aller plus loin.
Angie - Oui, effectivement parce que c’est difficile de se mettre des limites à soi-même! C’est difficile parce qu’on se sent capable de donner alors pourquoi on arrêterait de donner! (rire) On se dit inconsciemment “Se respecter? Ben voyons! J’ai pas besoin de ça, ça fait des années que je ne me respecte pas et ça fonctionne!” Quand on rentre dans des organismes pour les proches, on obtient un soutien et ce soutien là il n’a pas de prix, autant par les formations, que les conférences, les groupes, les intervenants. Personnellement, les groupes, la première fois, j’y allais à reculons. Je ne voulais pas y aller et pourtant, c’est l’outil qui m’a fait le plus de bien parce que j’ai pu me reconnaître, j’ai pu valider mes motivations.
Margaux - Le fait de te retrouver avec des personnes qui, comme toi, n’avaient pas l’habitude d’écouter leurs propres besoins et limites, ça t’a aidé ?
Angie - Oui. Et puis il a fallu qu’on m’en parle longtemps des limites pour que je les mette en action, pour que ça rentre et que je les intègre réellement. Je dirais que c’est depuis que je l’ai intégré réellement que je le vis mieux, et ça fait toute la différence.
Margaux - J’imagine que c’est une chose de savoir qu’il y a des limites à mettre à place et une autre de se sentir légitime de les appliquer?
Angie - Tout à fait. Ma première limite à moi, c’était d’arrêter de prêter de l’argent. Le mot d’ordre c’est “ne donnez pas d’argent pour les dépendances, parce qu’on nourrit la dépendance”, et j’ai eu de la misère à comprendre ça. Au début ça été de dire non à mon proche en lui expliquant “dans les organismes on m’a dit que pour t’aider faut que j’arrête, je comprends pas encore vraiment pourquoi, mais je veux vraiment t’aider donc j’arrête”. (rire) J’étais même pas convaincue, c’était difficile de convaincre mon proche mais parce que j’étais vraiment obstinée de l’aider de la bonne façon, j’ai persévéré et fini par comprendre comment j’aidais en ne donnant plus d’argent. Puis, une fois que la première limite a été faite, les autres ont été plus faciles à mettre en place.
Margaux - Ça été justement ta zone de pouvoir d’agir de mettre des limites ?
Angie - Entre autres. Ma zone de pouvoir est ce que je peux choisir. Mes limites en font partie: je choisis de les mettre. Mon proche n’a pas de limites, donc quand j'arrivais à en mettre, c’était confrontant pour lui. En même temps, c’est un cadeau que je nous ai fait. Parce qu’en introduisant mes limites, j’introduisais aussi ses limites. Souvent, quand on veut aider, on défonce des portes, mais il y a peut être des portes où se cachent des jardins secrets. J’ai une belle métaphore que j’utilise pour parler du pouvoir d’agir. Dans la vie, on mène tous notre bâteau. En santé mentale, quand on est proche aidant, on a tendance à se mettre les mains sur le gouvernail de notre être cher. Parfois même, on met deux mains sur le gouvernail de celui qu’on aime. Qui navigue notre bâteau alors? Notre être cher! On se retrouve à naviguer le bâteau de l’autre là où on voudrait aller. Et chacun tire de son côté et c’est facile d’être insatisfait de notre destination si on ne l’a pas choisie soi-même. Et remettre le gouvernail de notre proche à celui-ci, c'est choisir de vivre sa propre vie et faire confiance à notre proche. J’ai arrêté d’essayer de contrôler l’autre, j’ai repris mon propre pouvoir qui est à ma mesure et c’est beaucoup plus simple ainsi dans la relation.
Margaux - Qu’est ce qui fait que tu as pu lâcher le bateau de ton proche? Tu as probablement dû ressentir de la peur à l’idée de ne plus avoir de contrôle vis-à-vis de ton proche?
Angie - Tellement! En fait, c'est la situation familiale qui a fait ça. Je croyais que j’aidais en imposant mes vues. J’ai réagi violemment en paroles et on a eu une grosse chicane. Ensuite, je suis allée dans un organisme comme Arborescence et, avec l’aide d’une intervenante, j’ai constaté que je n’étais plus en mesure d’être une aidante, j’avais trop de colère accumulée. Je devais me prioriser, me remettre au centre de ma vie. J’ai pris conscience du bâteau grâce à cette intervenante et j’ai choisi de remettre mes mains sur mon bateau. Parce que j’aime mes proches, j’ai demandé un recul car je ne pouvais plus être gentille et aidante, j’étais devenue amère et agressive. Depuis mon recul, je constate que mon proche prend davantage ses responsabilités face à sa vie et va très bien : il fait des pas de géant car je ne prends plus sa vie en main.
Margaux - Ça partait d’un sentiment d’impuissance?
Angie - Oh, oui! C’était un sentiment d’impuissance parce que je n’avais pas de contrôle sur les gens que j’aimais et leur bien-être. J’avais ma vision du bien-être que je tentais de leur imposer. Je me sentais impuissante, démunie, vis-à-vis de mon proche mais aussi du reste de la famille qui n’allait pas dans le même sens que moi. On ne faisait plus partie de la même équipe. Puis ça été beaucoup d’humilité aussi de me dire, ils ont peut être raison, c’est leur vie. C’est ce sentiment d’impuissance là qui m’a fait exploser de colère à ne pas me reconnaître. Au fond, ç'a été le moteur pour me retirer, pour prendre du recul, et pour prendre confiance.
Margaux - Reconnaître ton sentiment d’impuissance semble t’avoir aidé à te recentrer sur ce qui t’appartient et à lâcher prise sur ce qui appartient à ton proche.
Angie - Exactement! Je me suis rendue compte que mon proche n’avait pas à recevoir mon jugement, ni à partager mon point de vue. Nous ne partageons pas les mêmes valeurs et croyances avec mon proche et je n’ai pas envie de diminuer les siennes ni qu’il juge les miennes. Je préfère qu’on se respecte.
Margaux - Le pouvoir d’agir pour toi c’est aussi se sentir en accord avec tes propres valeurs. Lorsque tu vas à l’encontre de tes propres valeurs, ça peut générer un conflit avec ton proche.
Angie - Tout à fait: je réagissais violemment, et c’était difficile car ce n’était pas dans ma nature d’être agressive. Maintenant nous avons adapté notre façon de communiquer afin de respecter chacun ses valeurs. Donc oui, la reprise du pouvoir par les valeurs. C’est important de les reconnaître, ainsi que celles des autres, et reconnaître aussi qu’il n'y a pas de vérité absolue.
Margaux - Tu es photographe, et je t’ai invité à choisir une image qui représente pour toi le mieux le pouvoir d’agir. Peux-tu nous présenter ta photo?
Crédit : Angie Dupuis https://angiedupuis.com/
Angie - Oui. Il s'agit d'une photo que j'ai prise au festival western de St-Tite. On y voit un pâturage de chevaux. Au premier plan, on voit un cheval qui choisit de sortir la tête du pâturage pour brouter l'herbe à l'extérieur. On imagine l'herbe plus verte, moins piétinée. Je la trouve très symbolique : il y a le cheval derrière qui le regarde un peu surpris de le voir faire, chaque cheval mange l'herbe où il veut, fait ce qu'il désire. Mais ce cheval au premier plan, lui, choisit de manger l'herbe la plus verte qu'il peut trouver, même s'il doit se passer la tête à travers la clôture, même s'il doit enfreindre une limite qu'on lui a mise. Il négocie la limite et trouve son bonheur dans de l'herbe fraîche.
Margaux - C’est le fait d’accepter son choix et de le reconnaître.
Angie - Oui, tout à fait. De le reconnaître et de l’assumer, c’est choisir. Et puis sur cette image, le cheval assume de choisir l’herbe qu’il veut manger, il ne se laisse pas imposer et ne force pas les autres non plus à manger la même chose que lui. Chacun est légitime, et cela ne l’empêche pas de rejoindre les autres chevaux après. Il a le droit d’avoir ses choix et de réintégrer son groupe ensuite.
Margaux - Pour conclure, dirais-tu que la reprise de pouvoir pour toi à été de te recentrer sur toi, d’apprendre à te connaître et d’écouter tes limites et tes besoins?
Angie - Oui, c’est ça. Décider de respecter mes limites a été un engagement envers moi-même, et j’ai choisi de prendre soin de moi.
Margaux - Merci Angie pour ton partage.
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